Parole d’experte : Barbara Nicoloso

Directrice de l’association Virage Energie

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Diplômée de Sciences Po Lille et de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Lille, Barbara Nicoloso est directrice de l’association Virage Énergie. Elle est l’auteure du "Petit Traité de Sobriété Énergétique" (Éditions Charles Leopold Mayer, 2021). Barbara Nicoloso est également administratrice d’Enercoop Hauts-de-France et chargée de cours à l’université du Littoral Côte d’Opale et à Sciences Po Lille sur les sujets de transition énergétique et d’écologie. (source : https://expertes.fr/)

https://vimeo.com/734668073

 

Barbara NICOLOSO, quelle est votre définition de la sobriété énergétique ?

La sobriété est une démarche qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre et les impacts environnementaux de nos modes de vie et du fonctionnement de nos sociétés par une réduction de nos consommations d’énergie et de ressources naturelles.
La sobriété consiste à s’interroger sur nos besoins : alimentaires, de chauffage, de déplacements, etc. pour consommer la juste quantité de ressources naturelles qui correspond à la satisfaction de ces besoins.
La sobriété suppose de faire évoluer notre rapport à la consommation, aux ressources mais aussi nos rapports aux normes, aux réglementations et aux imaginaires car elle s’appuie sur les changements de comportements à la fois individuels mais surtout collectifs.
À l’échelle individuelle la mise en pratique d’éco gestes est essentielle mais ne sera pas suffisante au vue de l’ampleur de la transition qui doit être menée. Pour rappel, l’empreinte carbone des Français doit passer de 12 tonnes à 2 tonnes de C02 d’ici 2050. Cette division par 6 ne pourra se faire qu’au travers de moyens mis en place à l’échelle de la société.
La sobriété doit être pensée de manière collective, démocratique, et co-construite pour être organisée et volontaire. L’idée de la sobriété n’est pas d’imposer des mesures aux populations mais plutôt de faire en sorte que des mesures de sobriété soient prises de manière concertée au regard des enjeux environnementaux et sociaux du territoire.

La sobriété est un levier de transition énergétique important, au même titre que le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, car elle s’intéresse à la façon dont on peut réduire notre demande en énergie. La sobriété est complémentaire de l’efficacité. Alors que l’efficacité énergétique porte sur des améliorations techniques et technologiques, la sobriété joue sur les comportements humains.
Ces deux dimensions sont très complémentaires car on sait qu’une amélioration technique peut entrainer un effet rebond. En effet, plus on améliore une technologie plus l’usage qui en est fait augmente et au final les gains énergétiques gagnés par cette amélioration technologique sont perdus.
Par exemple, les voitures actuelles consomment moins de pétrole au km qu’il y a 30 ou 40 ans et pourtant les émissions de GES ne baissent pas dans le secteur des transports routier. Cela s’explique par le fait que les gens se déplacent davantage, utilisent la voiture pour de courts trajets, ont des véhicules plus lourds... Tous les gains énergétiques liés à la meilleure performance et à l’efficacité du moteur sont anéantis par un usage plus important.
Avec la sobriété on va s’interroger sur les usages pour répondre au mieux aux besoins vitaux dans le respect des limites planétaires et des écosystèmes.

Pourquoi mettre en place une politique de sobriété énergétique dans les collectivités ?

L’urgence climatique et la nécessité de sortir progressivement des énergies fossiles pour aller vers les énergies renouvelables implique de revoir le fonctionnement de nos sociétés.
Depuis la première révolution industrielle, nos sociétés peuvent être qualifiées de sociétés d’ébriété énergétique, totalement dépendantes de l’exploitation de certaines ressources naturelles (pétrole, gaz, charbon). Ces ressources énergétiques qui font fonctionner notre modèle économique et notre système industriel sont fortement émettrice de GES et en grande partie responsables du dérèglement climatique actuel.
L’enjeu du changement climatique est important et implique un changement qui doit passer par la sobriété, car comme énoncé précédemment, la technologie n’est pas une solution « salvatrice », il faut agir sur nos modes de vie.

Deuxième enjeu : les crises sanitaires et géopolitiques qui sont amenées à se multiplier avec l’amplification du dérèglement climatique.
À l’heure actuelle on connaît une crise énergétique liée à la reprise industrielle suite à la fin de pandémie du covid mais aussi à la guerre en Ukraine, et ces chocs ont un impact sur la disponibilité des ressources énergétiques et sur leurs prix. Les collectivités sont des institutions qui doivent chauffer des bâtiments, des écoles, maintenir des transports en commun de qualité et accessibles à tous . Elles ont la vie de la cité à gérer et sont impactées par la flambée des prix de l’énergie ; la sobriété peut être une alternative intéressante pour réaliser des économies financières : veiller à ce que les bâtiments ne soient pas éclairés la nuit, éviter le surchauffage…

La sobriété permet aussi de réduire les vulnérabilités du territoire, car moins consommer d’énergie permet d’être moins dépendant des importations de certaines ressources énergétiques, d’être moins vulnérable à des problèmes d’approvisionnement, ou à des phénomènes météorologiques violents. C’est un levier de résilience.

La sobriété est aussi un moyen d’améliorer la qualité de vie dans les territoires. En réduisant la place de la voiture, on améliore la qualité de l’air ; en adoptant des modes de consommation et de production alimentaires plus respectueux de l’environnement on réduit la place des perturbateurs endocriniens, la pollution de l’eau et des sols.
La sobriété porte aussi en elle des mesures de ralentissement de la société, interroge la vitesse à laquelle la société évolue et qui peut être synonyme d’épuisement physique et psychologique. La sobriété soulève donc la question d’amélioration de la santé des populations qui est importante.
La sobriété présente donc de nombreux co-bénéfices intéressants.

 

Comment les collectivités se sont saisies de ce concept et l’intègrent dans leurs politiques publiques ?

De nombreuses communes et intercommunalités se saisissent du concept de sobriété pour l’intégrer dans leurs politiques, ce qui montre bien que la sobriété est un axe intéressant de développement territorial.
L’ADEME a réalisé, fin 2020, un recensement des politiques de sobriété menées à l’échelle du territoire français et européen. Cet inventaire a montré que les politiques publiques qui incluent des actions de sobriété ne l’affichent pas. On note là un véritable enjeu à révéler ces politiques de sobriété, pour les mettre au même niveau que les politiques d’efficacité, par des présentations, des visites, une place dans l’espace médiatique pour montrer que des initiatives de sobriété existent.
Il est important de rappeler ici que la sobriété c’est du sur mesure, on ne peut faire les mêmes choses dans le centre-ville de Paris ou dans un petit village rural d’Occitanie. Les mesures de sobriété doivent correspondre aux réalités géographiques et socio-économiques des territoires. Pour cela, il est important de travailler avec les populations et les acteurs locaux sur ce qu’il est possible de faire en fonction des caractéristiques territoriales.

Par facilité, la sobriété se résume souvent à la sobriété énergétique alors que la sobriété permet d’aller au-delà du sujet énergétique. La sobriété peut être foncière (utilisation des sols), matérielle (utilisation de minerais, bois et autres ressources),…
Il existe plusieurs formes de sobriété et les collectivités ont intérêt à ce que la sobriété infuse dans l’ensemble des politiques publiques qu’elles portent. La sobriété doit être abordée de manière transversale et systémique au sein des collectivités, elle concerne l’intégralité des compétences des communes et intercommunalités.
La sobriété est un sujet qui doit être positionné de manière stratégique en haut de l’organigramme technique et politique, et doit infuser dans les Directions des transports, des bâtiments, de l’alimentation, des affaires culturelles, de la planification,…
Il est essentiel d’avoir des politiques cohérentes les unes avec les autres pour faire émerger des territoires sobres.
La sobriété c’est aussi une question de bon sens. En mettant en place une meilleure communication entre les services et une meilleure organisation il est possible de moins consommer de ressources.
Exemple de métropole Rennes sur le sujet des transports : la métropole s’est posée la question de doubler ses lignes de métro pour faire face au phénomène de saturation entre 8h et 9h. Après concertation avec le Recteur de l’Université, la solution retenue a été de retarder les horaires de début des cours des étudiants pour lisser les plages de fréquentation du métro.

Pour conclure, dans le contexte actuel de crise énergétique, de guerre en Ukraine et par conséquent d’un hiver 2022-2023 qui s’annonce difficile en raison des prix de l’énergie, la sobriété risque de s’imposer comme une évidence pour les collectivités. Des expérimentations mises en place, comme par exemple l’extinction nocturne de l’éclairage public, qui était une politique difficilement acceptable pour les élus et les populations il y a encore quelques années, pourrait devenir une mesure de sobriété acceptée et amenée à se généraliser très vite pour pallier à la flambée des prix et réduire la facture énergétique du territoire.
Un changement est en train de s’opérer, sous la contrainte de la crise énergétique, néanmoins l’expérience montre que des politiques de sobriété robustes et appropriées par les citoyens perdurent pour contribuer aux enjeux de réduction des émissions de GES et d’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050.
Les scénarios de prospective de RTE et de l’Ademe, ainsi que le dernier rapport du GIEC, publiés récemment confirment qu’on n’atteindra pas la neutralité carbone sans la sobriété.

La sobriété est désormais un incontournable, l’enjeu est d’accompagner les collectivités pour qu’elles arrivent à se saisir au mieux de ce sujet et avoir des retombées positives sur leur territoire.