7 mai 2024 : Journée # 1 du Tronc commun - La séquence inspiration

Inspirations : La commune de Loos-en-Gohelle et le PETR Albigeois et Bastides

Une fois sensibilisés aux enjeux globaux de la transition écologique, comment les traduit-on dans un projet de territoire ? Comment passer du subi au choisi ?

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Une fois sensibilisés aux enjeux globaux de la transition écologique, comment les traduit-on dans un projet de territoire ? Comment passer du subi au choisi ?

 

La commune de Loos-en-Gohelle

À Loos-en-Gohelle, commune de 7000 habitants dans le bassin minier du Nord de la France, l’effondrement du modèle a déjà eu lieu avec l’arrêt des mines de charbon dans les années 1980, après une centaine d’années d’activité. C’est un territoire façonné à mains d’Hommes dont les terrils, parmi les plus hauts d’Europe, constitués des déchets miniers qui ont été entassés au fur et à mesure des années, matérialisent - littéralement - la dette carbone.

Aujourd’hui classées au patrimoine mondial de l’UNESCO, ces anciennes décharges à ciel ouvert sont désormais considérées comme un patrimoine précieux qui accueille des sentiers de randonnées et des manifestations culturelles. Les terrils, eux, sont restés les mêmes - c’est la manière dont nous les regardons qui a changé. Comment s’est opérée cette transformation collective ?

Au moment de la fermeture des mines, seule une petite dizaine de personnes est convaincue de l’importance de conserver ce patrimoine : elles s’interrogent sur l’avenir de leur territoire et considèrent qu’il est nécessaire d’avoir une compréhension de son passé pour pouvoir se projeter. Marcel Caron, le maire de l’époque, les soutient et finance un travail de recherche historique. Dans la foulée, il ouvre le site aux artistes locaux pour qu’ils s’en emparent.

Pour la plupart des habitants, dont les syndicats de mineurs, c’est impensable qu’un lieu aussi constitutif de leur identité professionnelle et territoriale puisse devenir le théâtre d’activités culturelles. Il y a des résistances mais les habitants sont mis à contribution, notamment à travers les Gohelliades, un festival de théâtre lors duquel les anciens mineurs sont invités à partager leur histoire, qui se répète régulièrement depuis.

Culture et implication habitante sont donc à la source de la dynamique loossoise. À travers ce travail d’introspection, les habitants ont pu exhumer ce qui fonde réellement leur identité : au-delà de la production de charbon, la culture minière c’est aussi la solidarité, un certain rapport à la terre, le club de foot local, etc. L’avenir du territoire ne se fera pas avec le charbon, mais il ne se fera pas contre lui et sa culture non plus. D’où l’importance de ne pas plaquer des modèles de transitions importés et descendants, mais de les articuler avec le substrat local.

C’est la même philosophie qui a guidé la révision du Plan d’Occupation des Sols dans les années 1990 et qui va donner lieu à la création d’une Charte du cadre de vie. C’est également cette approche qui va amener la collectivité, avec l’élection de Jean-François Caron dans les années 2000, à se professionnaliser sur ces questions : reconnaissance de l’expertise et formation de l’ensemble des agents pour améliorer l’interface avec la population, investissements stratégiques dans le recrutement de nombreux cadres A qui sont force de proposition et facilitent l’obtention de subventions mais qui nécessitent aussi de repenser un management moins descendant, etc.

Depuis, l’Église de Loos-en-Gohelle produit de l’énergie solaire, un système d’alimentation local avec des jardins partagés et un plan paysager avec des arbres fruitiers en libre accès ont été mis en place, les agriculteurs cultivent 10% de leur surface utile en bio, un centre de formation sur l’éco-construction a été créé par les Apprentis d’Auteuil… En 2014, la commune a été reconnue “démonstrateur national de la conduite de changement systémique” par l’ADEME et partage désormais les enseignements de son expérience avec d’autres territoires.

Pour aller plus loin :
Le centre de ressources en ligne de la commune de Loos-en-Gohelle
L’implication des citoyens : retour d’expérience de la commune de Loos-en-Gohelle, Ville de Loos-en-Gohelle, 2020.
Évaluation de la stratégie de conduite de changement de la ville de Loos-en-Gohelle (Quadrant Conseil), ADEME, 2016
La patrimonialisation de la mine de Loos-en-Gohelle (Anne-Louise Negre, Julian Perdrigeat), Multitudes n°93, 2023

 

Le PETR Albigeois et Bastides

Le PETR Albigeois et Bastides, c’est près de 60 000 habitants répartis au sein de cinq communautés de communes très rurales qui partagent de l’ingénierie via l’intercommunalité, notamment chargée de la transition écologique.

Après avoir mis en place de nombreuses actions en ce sens (PCAET, réseau TEPOS…) depuis les années 2010, le PETR s’aperçoit rapidement que les divers projets ne perdurent pas sur le territoire une fois les dispositifs terminés. Pour qu’une véritable transformation sur le temps long opère, il faut des changements de fond.

C’est la raison pour laquelle le PETR fait appel à la Fabrique des transitions pour réaliser un diagnostic sensible sur les conditions de portage et de pilotage des transitions au sein du territoire, avant d’embarquer dans le parcours “Territoires pilotes”, le premier accompagnement en cohorte qui s’est déroulé à l’échelle nationale en 2021-2022.

Une soixantaine d’entretiens plus tard, le diagnostic sensible fait apparaître plusieurs points sources de tensions. Tout d’abord, le PETR est vu comme une instance supra dont les actions sont perçues comme descendantes, qui ne partent pas de la “base” : cela explique notamment qu’elles ne perdurent pas dans le temps et ne sont pas appropriées par les habitants. Par ailleurs, les collectivités sont organisées en silos, elles ne sont pas adaptées au fonctionnement transversal nécessaire aux coopérations et suscitent de la souffrance au travail.

Pour y remédier, il apparaît nécessaire de travailler à un projet commun aux cinq communautés de communes pour rassembler et éprouver de nouvelles manières de faire. Parallèlement, un groupe de quatre agents qui, bien qu’exerçant dans différentes communes partagent les mêmes difficultés dans leur travail, se réunit et initie un espace d’échange avec les équipes dirigeantes.

En résulte la création d’un réseau de directeurs généraux des services au sein du PETR, pour proposer des réponses aux problématiques organisationnelles et renouveler la manière de conduire les projets. Une formation à la coopération est également proposée aux équipes dirigeantes qui répondront très largement présentes.

Le PETR s’appuie aussi sur les recommandations partagées du diagnostic sensible pour définir des priorités et élaborer un projet pilote. Pour faire face aux sécheresses dont souffre le territoire, il souhaite favoriser l’installation de récupérateurs d’eau de pluie. Fort de la nouvelle organisation transversale qu’il a mise en place, il ne se contente pas d’un simple appui financier à l’acquisition de récupérateurs par les habitants, mais propose des formations à leur installation, destinées autant aux habitants qu’aux agents, et travaille à l’exemplarité des communes dans ce domaine en jouant un rôle d’animation territoriale.

Aujourd’hui, des organisations comme l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, la Chambre d’Agriculture ou la Chambre des Métiers s’intéressent à la dynamique de coopération créée par le PETR autour des récupérateurs d’eau de pluie et réfléchissent à la manière de mettre en œuvre des projets similaires avec leurs propres publics.

Pour aller plus loin :
Le portrait vidéo du PETR Albigeois et Bastides, Territoires Audacieux, 2021

 

Le parcours “Territoires pilotes”, La Fabrique des transitions, 2021-2022

Synthèse des enseignements

À Loos-en-Gohelle comme dans le PETR Albigeois et Bastides, ces retours d’expériences traduisent l’importance de partir de l’existant pour mener des projets de transition qui soient à la fois ambitieux et partagés : l’identité du territoire, les enjeux auxquels il fait face… Pour identifier ce qui fait lien, embarquer largement les équipes comme les habitants et surmonter durablement les difficultés, les modes d’organisation et de management doivent souvent être revus, de manière à favoriser la transversalité et la coopération. Ce n’est qu’une fois que ces premières conditions ont été réunies que le territoire peut commencer à tirer le fil de la systémie et, à partir d’un projet pilote fédérateur, élargir progressivement le cercle des acteurs impliqués et des enjeux traités. Au-delà des éléments comptables, la valeur d’une telle démarche tient à la dynamique générée, qui permet in fine de gagner du temps (et de l’argent !) et qui s’inscrit dans le temps long, en dépassant parfois les frontières du territoire.

Ref. Les 4 Fondamentaux de la conduite de changement systémique, La Fabrique des transitions, 2022.