Dans son 6e rapport (avril 2022), le GIEC - a identifié la sobriété comme un levier prioritaire pour limiter le réchauffement à 1,5°C à horizon 2100. L’examen des dimensions socioculturelle et comportementale est une nouveauté de ce rapport.
Cette notion de sobriété est largement abordée dans le scénario Negawatt - qui préconise d’allier sobriété, efficacité et énergies renouvelables pour répondre aux impératifs énergétiques et climatiques dans une société plus durable et plus équitable.
Le scénario NégaWatt décompose l’ensemble des usages de l’énergie, et identifie sur chacun d’eux les leviers envisageables d’économie d’énergie relevant de la sobriété ou de l’efficacité.
L’ensemble des actions de sobriété envisagées permettrait à l’horizon 2050 une réduction de 20 % des consommations d’énergie. En cela, la sobriété énergétique apparaît comme un élément incontournable que les politiques publiques doivent intégrer dans leur projet de transition énergétique.
- Synthèse du scenario negawatt 2022
- Association Negawatt
Cette approche est confortée par l’exercice de prospective « Transitions 2050 » réalisé par l’ADEME, qui analyse 4 voies possibles pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Il ressort de ces travaux que seulement deux scénarios, le scénario 1 « Génération frugale » et le scénario 2 « Coopérations territoriales », sur les 4 présentés, permettent d’atteindre l’objectif fixé, tout en respectant une cohérence du système énergie-ressource -territoire. Ces deux scénarios mobilisent le levier de la sobriété.
La sobriété est aussi une ligne directrice pour la Région Occitanie. Dans le cadre de sa stratégie Région à Energie POSitive, la Région a pour objectif de couvrir la consommation d’énergie finale de la région par la production d’énergie renouvelable locale à horizon 2050. Tous les secteurs sont concernés et la sobriété énergétique est un des leviers identifiés pour atteindre l’objectif d’une division par deux des consommations énergétiques par habitant.
Si la sobriété est devenue indispensable, les politiques publiques s’appuient néanmoins prioritairement sur l’efficacité énergétique, car mettre en pratique la sobriété énergétique suppose des transformations sociétales sur les plans individuels, collectifs et organisationnels.
La sobriété impose un changement de paradigme pour tendre vers un nouveau projet de société
Selon une enquête Ademe1 , 58% des Français pensent qu’il faudra modifier les modes de vie pour faire face au changement climatique, et 83% souhaiteraient vivre dans une société où la consommation prend moins de place. Mais malgré cette sensibilité à la sobriété de plus en plus présente, le passage à l’acte demeure difficile, une majorité de Français restant très attaché au modèle consumériste, synonyme de liberté. On note cependant l’émergence de démarches pionnières à l’échelle individuelle et de petits collectifs, comme par exemple la multiplication des repair café contribuant à l’économie de ressources ; ou les démarches d’habitat participatif contribuant à la sobriété foncière. Les collectivités peuvent faciliter ces démarches par des mesures d’accompagnement ou de facilitation aux changements de comportements, complémentaires des mesures d’efficacité énergétique. (voir notre article "Les collectivités peuvent faire évoluer les pratiques vers plus de sobriété")
En effet, sobriété et efficacité sont complémentaires. La sobriété vise à se questionner sur les besoins essentiels dans les usages individuels et collectifs de l’énergie alors que l’efficacité cherche à diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction d’un même besoin grâce à l’efficacité énergétique (amélioration d’un rendement).
Par exemple, l’isolation d’un bâtiment va permettre des gains énergétiques par une moindre consommation de chauffage, amplifiée par le choix d’une température ambiante réduite de 1 à 2°.
L’ADEME reprend ces éléments dans sa définition de la sobriété :
« dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, la sobriété consiste à nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement. Elle doit nous conduire à faire évoluer nos modes de production et de consommation, et plus globalement nos modes de vie, à l’échelle individuelle et collective »2
La sobriété est la source d’une multitude d’innovations organisationnelles et sociales : une opportunité pour les collectivités ?
On distingue plusieurs leviers de sobriété qui sollicitent à des degrés divers une intervention des politiques publiques :
- la sobriété organisationnelle qui vise à interroger les modes d’organisation collective afin d’adopter de nouvelles façons de se déplacer, de travailler, d’habiter, de consommer qui soient moins énergivores. Exemples : télétravail, mutualisation des équipements (covoiturage, autopartage, tiers-lieux…) ;
- la sobriété structurelle qui consiste à penser l’aménagement du territoire de telle façon que les zones d’habitation, d’activités et de consommation soient proches et facilement accessibles sans voiture (marche, vélo, transports en commun) ; on peut citer ici la ville de Lunel, qui a adopté le concept de la Ville du Quart d’heure
- la sobriété dimensionnelle ou sobriété d’usage, qui concerne le bon dimensionnement ou la bonne utilisation des équipements par rapport à leurs conditions d’usage (par exemple l’utilisation de véhicules adaptés, en poids, volume et puissance, aux usages de déplacements de proximité et de déplacements interurbains ; la gestion économe des espaces chauffés, l’extinction nocturne de l’éclairage public ou des vitrines commerciales) ;
- la sobriété conviviale ou coopérative ou de partage, qui relève d’une logique de mutualisation des équipements et de leur utilisation : activités favorisant le réemploi, le partage et l’échange. Exemples : Repair Café, ateliers de réparation solidaires, bricothèques, autopartage, habitats partagés...
La sobriété s’applique à tous les secteurs : bâtiment, mobilité, numérique, énergies, foncier, déchets... Et requestionne la totalité de l’écosystème territorial
Si la sobriété énergétique concerne l’ensemble des usages de l’énergie (pour la mobilité, pour les besoins de chaleur et de froid, pour les services rendus par l’électricité spécifique) dans l’ensemble des secteurs (résidentiel, tertiaire, industrie, transports et agriculture), elle concerne aussi tous les acteurs du territoire.
La sobriété demande aussi bien aux collectivités, qu’aux entreprises et aux citoyens, de réfléchir à l’impact énergétique et matériel de leurs pratiques et de s’interroger sur la façon de réduire leurs émissions de GES.
La sobriété s’applique à tous les domaines de compétences d’une collectivité : aménagement du territoire, établissements scolaires, voirie, éclairage public, bâtiments sportifs, transports, politique d’achat, etc.
Elle peut constituer un principe directeur intéressant pour la création d’un projet de territoire, d’une part par son ancrage dans les pratiques locales, et d’autre part par la réduction des externalités négatives.
L’adaptation du comportement individuel est souvent mise en parallèle avec le lancement d’une dynamique collective. En effet, même si le comportement individuel est souvent cité, il peut nécessiter une mobilisation collective (comme par exemple pour l’autopartage) ou une action de la part de la collectivité pour faciliter le changement de comportement (des places de stationnement vélo sécurisées et des pistes cyclables pour encourager à utiliser le vélo plutôt que la voiture).
Les entreprises, elles, vont devoir développer un nouveau modèle économique adapté au contexte d’un territoire sobre. Les collectivités peuvent initier des actions pour accompagner le tissu économique vers la sobriété : inciter les entreprises à développer l’éco-conception de leurs produits et services et les achats responsables, promouvoir l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, encourager à l’innovation low-tech, encourager les synergies et coopérations entre professionnels d’un même territoire, favoriser le développement de nouvelles formes de distribution/commerce (mettre en lien les producteurs et les habitants, développer les circuits courts)...
Les citoyens doivent adopter de nouveaux comportements et de nouvelles pratiques en lien avec le nouveau projet de société ou de territoire. La sensibilisation des publics et la communication sont les enjeux principaux des politiques de sobriété et les collectivités peuvent agir. Il s’agit notamment de diffuser une représentation culturelle positive de la sobriété (au travers notamment d’une projection du territoire), de montrer par l’exemple ses bénéfices et la faisabilité des solutions existantes, et de valoriser la participation citoyenne aux actions de la collectivité. Ces sujets sont développés dans l’article "Modifier la représentation sociale de la sobriété pour la rendre désirable"
Même si elle ne fait pas encore l’objet de programmes dédiés on constate que la notion de sobriété énergétique est en émergence dans les territoires. Malgré qu’elle ne soit pas abordée telle quelle par les élus et techniciens, ni même présentée telle quelle aux citoyens, des actions sont mises en place, comme, par exemple, les aires de covoiturage, les espaces de coworking, la mise à disposition de vélos à assistance électrique à Tarbes, ou le dispositif de rénovation énergétique des logements Rénov’Occitanie mis en place par la Région Occitanie.
1. Baromètre Ademe, Les représentations sociales du changement climatique, juillet 2020